Harry Potter, ange ou démon ?    

 
 
Harry Potter, ange ou démon ? 
de Eric Auriacombe (Auteur), Isabelle Smadja (Auteur), Pierre Bruno (Auteur), Benoît Virole (Auteur).

                                 Présentation de l'éditeur
Harry Potter a-t-il accéléré le processus de marchandisation de la culture juvénile, ou a-t-il permis aux jeunes de redécouvrir le plaisir de lire ? Conjugue-t-il sexisme et racisme, ou prône-t-il l'émancipation des femmes tout en s'appuyant sur le métissage des références culturelles ? Son succès auprès des adultes est-il le reflet d'une infantilisation de la pensée, ou se justifie-t-il par la vigueur et l'intelligence de l'imaginaire convoqué Alternant résultat d'enquêtes auprès d'enfants, débat d'idées, entretien avec des créateurs de sites de fans, analyses du roman et de sa réception, recensant et résumant une large part des essais parus en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, cet ouvrage ambitieux et documenté réunit des contributions d'universitaires, de psychiatres, de journalistes et de fans et répond de manière vivante aux questions soulevées par le succès planétaire de l'œuvre de J. K. Rowling.

Introduction,5

Harry Potter, ou la nécessité d’une approche plurielle, par Isabelle Smadja 9

I Œuvre, auteur, société : Approches psychologiques et sociologiques 25

     Harry Potter : L’émergence d’un mythe contemporain, par Benoit Virole 26

Lectures « sociales » et lectures « politiques » d’Harry Potter : État des lieux et mise en perspective, par Pierre Bruno  39

II L’œuvre au croisement des filiations culturelles 55

Les contes et la psychanalyse, par Eric Auriacombe 56

L'infantile et les contes 57

Du fantastique au fantasme. Quelle vérité ? Quelle réalité ? 59

Le conte merveilleux et le domaine du rêve. De l'interprétation des rêves à la traduction des contes 61

Le conte comme espace ludique : 63

Le conte et l'imaginaire 65

Conclusion 67

Harry Potter à l’école des juvénistes, par Johanne Prudhomme 70

Harry Potter et l’art de masse, par Isabelle Smadja 89

 III Texte, langue, public, médiation… 109

Harry Potter et les sortilèges du miroir, par Eric Auriacombe 110

Prologue 111

Acte I : Le corps en morceaux 111

Acte II - Le reflet des parents 114

Acte III - La parole de Dumbledore 117

Epilogue «provisoire» 118

Harry Potter, de la version anglaise à la version française : Un certain art de la  traduction, par Franck Ernould et Isabelle Smadja 120

    Ce que Harry Potter a changé dans l’édition : Analyse et mise en perspective de « l’effet HP » dans le monde de l’édition, par Nathalie Raoul. 121

Entre média-culture et culture scolaire : les représentations de l’école et des disciplines chez les élèves lecteurs d’Harry Potter, par Nicole Biagioli 141

Harry Potter et ses fans : Entretien avec les créateurs de L’Encychopédie Harry Potter, Le Grimoire de Harry Potter et La Pensine 149

 IV Bilan et mise en perspective 160

    Mise en perspective. L'image de la femme ; du débat d'idée au travail critique, par Pierre Bruno et Isabelle Smadja 161

L’état des débats : Bibliographie sélective et critique, par Pierre Bruno, Denise Escarpit et Isabelle Smadja 197

Conclusion 225

 A lire : http://www.scienceshumaines.com/harry-potter-ange-ou-demon-_fr_22132.html

 

Harry Potter et les sortilèges du miroir
 
Introduction
Nous allons utiliser une méthode d’étude comparable à celle que nous avons employée dans notre essai concernant les tomes I à V de cette série romanesque : Harry Potter, l’enfant héros (PUF, 2005). Il s’agit d’une modalité de lecture psychanalytique du roman, et notamment de l'analyse d'un héros littéraire, qui s’efforce de rester au plus près de la vérité du texte, des dialogues, des expériences et des situations décrites par l’auteur.
Le stade du miroir constitue un « drame » pour l’enfant qui s’y confronte en anticipant l’achèvement de son développement futur sous une forme idéale mais virtuelle. Une lecture attentive du chapitre 12 du roman de Joanne Kathleen Rowling, Harry Potter à l'école des sorciers, intitulé Le miroir du Rised[1], peut devenir le support d’une analyse permettant une description de cette phase du développement de l’enfant.
L’intérêt pour les héros littéraires n’est pas nouveau en psychanalyse. Notamment, Freud propose une étude comparative de plusieurs pièces de théâtre et de contes, en 1913[2], dans Le thème des trois coffrets ; en 1919[3], il analyse le conte d’Hoffmann, L’homme au sable. D’autres psychanalystes ont également procédé à des analyses de héros littéraires ou de contes, comme par exemple André Green[4] avec Hamlet ou Bruno Bettelheim[5] avec les contes de fées. Le héros littéraire et l’univers dans lequel il vit vont être des objets de recherche spécifiques sans pour autant que l’auteur des romans soit mis en cause. Ce travail sur Harry Potter s’inscrit dans cette perspective qui interroge le texte et non son auteur. Précisons également que nous n'avons pas recours à une perspective herméneutique[6] visant à expliquer le texte du conte à partir d’éventuelles correspondances ou interprétations symbolistes ou mythologiques.
 
Nous présentons une approche théâtralisée de ce chapitre qui mettra en évidence des articulations logiques entre les différentes expériences vécues par Harry Potter.
 
 
Prologue
La période de Noël s'avère parfois redoutable pour les enfants sans famille qui mesurent leur solitude à l’aulne de l'enthousiasme des autres enfants s'apprêtant à retrouver chaleur, amour et cadeaux auprès de leurs parents. La fête de Noël compense la froidure de l'hiver.
Le jeune Drago Malefoy ne se prive pas d’ironiser sur la situation de Harry Potter et de Ron Weasley qui restent à Poudlard, l’école des sorciers, pendant ces vacances de Noël.
Pour Harry, le fait de ne pas retourner chez son oncle et sa tante, Mr et Mrs Dursley, qui le maltraitent, représente plutôt une bonne nouvelle. Pourtant, les questions à propos de sa famille, de ses parents, de son histoire et de ses origines se réactivent à ce moment. Le questionnement concernant la mort de ses parents peut être mis en relation avec la mission dont Harry va se charger : découvrir qui est Nicolas Flamel, l'inventeur de la pierre philosophale qui procure l’immortalité à son possesseur ! (I, 145)
Le thème de la mort des proches apparaît comme central dans cette série. Le Seigneur des ténèbres, qui a tué les parents de Harry, recherche l’immortalité et il a besoin de cette pierre pour revivre après avoir été réduit à presque rien dans sa rencontre avec Harry Potter bébé. Une forme de ressemblance, de proximité, existe entre Harry et Voldemort. La cicatrice sur le front de Harry en témoigne car elle devient douloureuse lorsque Harry ressent la présence de Voldemort.
Dans ce chapitre, Harry recherche l’inventeur de la pierre philosophale en s’intéressant notamment aux livres interdits de la bibliothèque qui se trouvent dans la Réserve et qui traitent de magie noire. Pourquoi éprouve-t-il cette tentation d’accéder à un monde noir, occulte et interdit ? Peut-être espère-t-il secrètement faire revivre ses parents morts ?
 
 
Acte I : Le corps en morceaux
Harry, l'enfant orphelin, maltraité, se résigne. Il croit que personne ne pensera à lui à Noël et qu’il n’aura pas de cadeaux. Il s'étonne d’en recevoir. Qui peut bien s’intéresser à lui ? En quoi est-il digne d’être aimable ?
Rappelons que Harry n’a jamais reçu de présents notamment pour son anniversaire et que son oncle, sa tante et son cousin le maltraitent depuis qu'ils l'ont recueilli à l’âge de un an. Cette maltraitance va jusqu’au déni d’existence. Harry est mis au secret dans le placard sous l’escalier avec interdiction absolue de parler, de s’exprimer, d’exister, de vivre. [7]
Il reçoit pourtant ce jour-là des marques d’intérêt et des cadeaux : une flûte de la part de Hagrid (qui pourrait être un indice pour approcher de la pierre philosophale en endormant le chien à trois têtes qui en garde la cachette) ; 50 pences de son oncle et de sa tante (médiocre témoignage de leur piètre affection pour Harry) ; un pull de la part de la mère de son ami Ron Weasley (ce don devient un signe de reconnaissance, voire d’adoption par le clan Weasley) ; des friandises de la part de son amie Hermione ; et enfin une cape d’invisibilité provenant d’un donateur anonyme. Harry, l'enfant qui était obligé d'être invisible aux yeux des autres, reçoit comme don une cape d'invisibilité !
Remarquons que Mrs Weasley n’a pas inscrit de lettre sur le pull de Harry, comme elle le fait pour ses autres enfants. « Elle doit penser que tu n’oublies pas ton nom », lui dit Georges Weasley. (I, 199) La question du nom reste cruciale pour Harry qui ignorera sa célébrité dans le monde des sorciers pendant toutes ses années d'enfance chez les Moldus.
Harry revêt la cape et il s'observe dans le miroir. Il assiste alors à la disparition de son reflet, en présence de Ron qui sera témoin de cette première expérience spéculaire. Par l’intermédiaire du miroir, il voit disparaître des éléments de son propre corps qui réapparaissent ou se manifestent séparément : « Harry regarda ses pieds, mais ils avaient disparu. Il se précipita vers le miroir et ne vit que son visage qui semblait flotter dans l'air. Son corps, lui, était devenu invisible. Il remonta la cape sur sa tête et son reflet s'effaça complètement. » (I, 200)
 
De quel type d’expérience spéculaire s’agit-il ? Constitue-t-elle le prototype des expériences ultérieures ? Quelles en sont les conséquences pour Harry ?
Trois niveaux d’analyse peuvent être proposés :
1. Il s’agit d’une expérience à partir de laquelle Harry s'aperçoit morcelé. Il ne voit plus que sa tête, son visage. Il reste surpris devant cette image incomplète, tronquée, partielle de lui-même qui semble annoncer ou amorcer la régression ultérieure au stade du miroir provoquée par sa rencontre avec le miroir du Rised. Cette phase du miroir fait resurgir le vécu archaïque du corps morcelé.
2. Harry fait aussi la constatation d’un manque au niveau de son corps, au niveau de son reflet. Il perçoit la disparition de ses pieds et de ses jambes comme un trou au niveau de l’image du miroir qui est ainsi décomplétée. La virtualité de son reflet apparaît alors clairement. Harry se confronte directement au mensonge de l'image spéculaire que les hommes imaginent réaliste et objective, mais qui ne les montre pourtant qu'inversés et partiels.
3. L'action de se faire disparaître et réapparaître aux yeux d’un autre (et à ses propres yeux) évoque le jeu du nourrisson qui se cache sous le regard de sa mère (jeu du « coucou-le voilà »). Ce jeu marque les premières tentatives de l'enfant (et aussi de la mère) pour intégrer les expériences de séparation et de retrouvailles avec l'objet aimé. Harry constate ici la disparition de son reflet, morceaux par morceaux, jusqu'à ce qu'il s'efface totalement et qu'il devienne totalement invisible.
Jacques Lacan[8], et avant lui Henri Wallon, ont évoqué l'importance de la phase du miroir dans le développement psychologique du sujet humain. L'enfant, à l'âge infans[9], va anticiper son développement futur sous une forme globale et idéale. Il s'identifie à cette image de son corps propre qui constitue le point d'origine de son narcissisme : l'amour pour son moi.
Quelles sont les conséquences de cette phase pour le petit enfant ?
Tout d'abord, il convient de souligner l'importance de la globalisation de la perception du corps sous une forme (gestalt) idéale qui marquera ultérieurement les relations de l'enfant à son devenir (moi idéal). Soulignons la place déterminante du regard de la mère (de la personne qui « materne ») par l'intermédiaire duquel l'enfant se regarde en train d'être regardé et aimé.
La perception de la globalité fait apparaître l'angoisse, l'étrangeté et l'étrangèreté de se confronter à cette image, mais aussi de s'exposer à la perdre et de régresser à la problématique du corps morcelé et de l'objet partiel. « En regardant à ses pieds, il ne vit que des ombres et la tache d'un rayon de lune. C'était une impression très étrange. »[10] (I, 203)
La relation au miroir peut installer une sorte d'aliénation, en condamnant l'être humain à se confronter à un autre lui-même (un alter ego, un semblable) pourtant différent, plus beau et tout puissant. Cette figure du double (Je est un autre) instaure le Moi comme une instance imaginaire dont l'enfant tombe amoureux (narcissisme) au risque de se perdre dans la fascination de cette image à deux dimensions.
Cette scène a un témoin. Harry ne se trouve pas seul en face de son image qui disparaît en ne laissant subsister que des morceaux évanescents de son corps. Ce témoin revêt la figure de l’ami : le confident, le proche, l’autre soi-même. Ron, dans sa proximité avec Harry, semble comprendre ce que celui-ci éprouve. Mais il demeure critique et indépendant et il peut ainsi se permettre de s'interposer et de faire cesser la fascination provoquée par cette expérience.
Ron interrompt en effet la contemplation de Harry dans le miroir en lui disant qu’il y a un message qui accompagne la cape d'invisibilité. Harry ne peut demeurer insensible à ce rappel à la dimension du langage. La cape est annoncée comme constituant un héritage de son père. Ce don s’accompagne d’une recommandation impérative : Fais en bon usage. (I, 200)[11]
Le message demeure imprécis car le bon usage reste difficile à définir et il peut se prêter à de multiples interprétations. Ce qui paraît le plus important, c’est sa formulation éthique et son caractère impératif témoignant de la confiance du généreux donateur.
La lettre n’est pas signée et la question de l’origine de l’objet (la cape d’invisibilité n’est pas invisible !) et du message qui l’accompagne reste donc ouverte. Qui a écrit le mot ? La cape d’invisibilité vient-elle vraiment de son père ? Qui se met en position de pouvoir transmettre la parole du père ?
Mais quel sens a ce message ? Quel effet celui-ci a-t-il chez Harry ?
Harry n'a pas l'habitude d'être considéré comme un interlocuteur. Enfant maltraité par sa tante, son oncle et son cousin, il doit se taire et s'efforcer de rester silencieux en toute circonstance et d'être invisible aux yeux de sa famille Moldue. De fait, la réponse de Harry lorsque Ron lui demande ce qu'il éprouve, est : rien ! « -Rien, dit Harry. Il éprouvait une étrange sensation. Qui avait bien pu lui envoyer cette cape ? » (I, 201) Le message a une adresse qui montre que Harry compte pour quelqu'un qui souhaite communiquer avec lui. Il se sent reconnu, mais par qui ? Les lettres de nulle part[12] adressées à Harry par Dumbledore pour l'inviter à se rendre à l'école avaient déjà eu ce même effet interrogateur.
Harry se pose enfin la question de son père, du père, de l'héritage qu'il doit assumer. Ce don du père doit rester secret et Harry ne souhaite pas que la présence de la cape soit révélée aux autres. Il pense que cette possession et l'usage qu'il peut en faire, vont lui permettre d'instaurer une relation secrète entre lui et son père mort et invisible, de faire de nouvelles expériences, de prendre une forme d’autonomie et d’indépendance et de poursuivre ses recherches sur l’immortalité…
 
Acte II Le reflet des parents
Harry devient obsédé par l’idée de posséder cette cape d’invisibilité (I, 203), par le don de cette cape provenant de ce « père » qu’il a à peine connu.
Lorsqu’il revêt la cape, il éprouve une étrange sensation de libération, une impression de liberté qui l’amène à sortir seul, où il veut, dans les couloirs de Poudlard. « Ron grogna dans son sommeil. Fallait-il le réveiller ? Quelque chose l'en empêcha. C'était la cape de son père ? Cette fois- la première fois- il voulait être seul. » (I, 204) Il semble que, pour Harry, le fait de se revêtir d'un vêtement de son père l’autorise à sortir de son isolement, seul (pour la première fois), pour aller explorer l'école. Harry semble accéder à une sorte de capacité à être seul. [13]
Quel usage fait-il de cette forme d'autorisation à agir et à assumer ses actes et ses pensées ? Il se précipite vers la réserve de la bibliothèque pour apprendre quelque chose sur la mort et l’immortalité ! Mais il prend aussi le risque de la Magie noire… et se rapproche alors inconsciemment de Voldemort.
Dans les livres interdits, il découvre des mots inconnus dont il ignore le sens. Il voit du sang qui suinte entre les pages et il entend des chuchotements. Il ouvre un livre qui se met à pousser un cri horrible et effrayant.
Il a peur de se faire surprendre par le professeur Rogue et le concierge Rusard. Il panique et se réfugie dans une salle abandonnée dans laquelle se trouve un vieux miroir, une antiquité, un déchet : « quelque chose que quelqu’un avait dû abandonner là pour s’en débarrasser ». (II, 206)
Il existe une mystérieuse inscription au dessus du miroir : « riséd elrue ocnot edsi amega siv notsap ert nomen ej ». [14]
Rowling précise que Harry se calme et s'approche du miroir pour voir son image. « Harry moved nearer to the mirror, wanting to look at himself but see no reflections again. He stepped in front of it.» (I, 153)
Notons que le traducteur fait une erreur. L'édition française indique : « Il ôta sa cape et s’approcha du miroir pour vérifier qu’il était toujours invisible. » (I, 206) Pourtant Harry ne retire pas la cape pour constater l'absence de son reflet. Il cherche surtout à revoir son image et à vérifier son invisibilité.
A partir de ce pouvoir de se rendre volontairement invisible aux regards des autres, c'est sa position subjective qui se met en jeu. Quand il porte la cape de son père, il devient visible à ses propres yeux. Il existe enfin en prenant des initiatives et en suivant son idée personnelle (même s’il transgresse les règlements de l’école). Il devient quelqu’un, et il veut le vérifier dans le miroir. Mais, il reste toujours invisible…
Au-delà de sa visibilité/invisibilité, il expérimente son existence/inexistence devant un miroir en sollicitant son reflet de lui montrer la vérité de son être.
Mais il pousse un cri d’horreur, car il se confronte à une expérience d'effroi.
Plusieurs personnages entourent en effet son image et le regardent. Il se retourne pour vérifier la réalité de leur présence, mais personne ne se tient effectivement à ses côtés. Il semble vivre une forme d'expérience hallucinatoire spéculaire. Alors qu'il est invisible, son propre reflet et celui de plusieurs personnes apparaissent dans le miroir. Le miroir se remplit d'images, mais la pièce demeure pourtant déserte. [15]
Pourquoi pousse-t-il un cri d’effroi ? Croit-il qu'il s'agit de fantômes ?
Le miroir reste trompeur. Quand Harry se retourne, il ne peut constater que le vide de la pièce. Revit-il l’absence de sa mère morte lorsqu'il avait un an et qu'il ne pouvait plus voir, entendre, toucher ?
Harry observe d’abord une femme qui sourit et pleure en même temps : sa mère. « Dans le développement émotionnel de l'individu, le précurseur du miroir, c'est le visage de la mère », nous dit Winnicott. [16] Puis, il voit son père et sans doute ses aïeux. « Pour la première fois de sa vie, il avait sa famille devant les yeux. » (I, 207)
Les reflets ne parlent pas. L’image dans le miroir ignore les mots et le langage. Harry reste fasciné et attiré par ce monde de morts uniquement fait de sourires silencieux. « Il était si près du miroir, à présent, que son nez touchait presque celui de son reflet. » (I, 207) Harry veut traverser le miroir et se plonger dans ce monde virtuel et hors du temps. [17]
« Quelque chose lui faisait mal à l'intérieur de son corps, un mélange de joie et de tristesse. » (I, 208) [18] Joie et tristesse se mêlent, sourires et pleurs. Les enfants maltraités se construisent comme des oxymores en clivant et juxtaposant leurs sentiments : « Ainsi, l’enfant doit vivre avec une personnalité blessée, et un Moi qui trouve son potentiel de réparation en se clivant pour survivre. La figure de rhétorique, l’oxymoron, peut être le témoin du clivage, dans lequel coexistent deux parties :
- l’une, qui est détruite par le trauma (décès de ses parents) ;
- l’autre, plus secrète, qui résiste et qui cherche à se maintenir comme condition de la survie.» [19]
Harry devient captif de cette image. Il ne pense qu’à la revoir de nouveau. Il demeure amoureux de son reflet entouré par les images aimantes de ses parents. Il se sent aimé, se voit aimé, pense qu’il est digne d’affection, aimable. « Que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de la mère ? Généralement, ce qu'il voit, c'est lui-même. » [20] Harry se situe bien dans la situation de Narcisse, amoureux de son reflet, mais il est aussi accompagné par les ombres du passé.
Qu’est-ce que le miroir du rised ? Ron pense qu'il ne montre que les morts et il a raison car les images des parents de Harry ne sont pas vivantes. Mais, le miroir annonce surtout le désir profond de celui qui le contemple.
Il ne donne forme ni au futur, ni au passé. Il "montre" le désir.
 
Acte III La parole de Dumbledore
Harry ne pense plus qu'à retourner devant le miroir, mais il va être interrompu dans sa contemplation par le Professeur Dumbledore qui lui dit que l'invisibilité le rend myope, tant il paraît à côté de la réalité ! [21]
Dumbledore indique à Harry la vérité du miroir et les dangers de son usage : l’image n’ouvre pas à la vraie connaissance de l’être.
Le miroir montre le désir le plus cher que nous puissions avoir. Ainsi, Harry peut découvrir sa famille alors que Ron se découvre Préfet en chef et capitaine de l'équipe de Quidditch.
L'image spéculaire met en scène une relation de type duelle, à deux dimensions, qui ouvre vers la confrontation entre le moi du sujet et son alter ego. A partir de cette phase, une relation fusionnelle peut s'installer dans laquelle ni l'un ni l'autre ne peuvent se différencier vraiment. Mrs Rowling décrit bien cette situation d'attraction, de fascination quasi hypnotique, d'aliénation que cette belle image exerce sur Harry.
Dumbledore explique à Harry que des hommes ont dépéri ou sont devenus fous en contemplant ce que le miroir leur montrait. « Ça ne fait pas grand bien de s'installer dans les rêves en oubliant de vivre, souviens- toi de ça. » (I, 212)
La relation duelle, non médiatisée, du stade du miroir instaure une sorte de connaissance paranoïaque en ouvrant sur la problématique du double. Harry sera confronté à cette question et à ce destin mortifère lorsqu'il découvrira, dans le tome V[22], la prophétie qui évoque sa relation à Voldemort. L’un devra tuer l’autre car ils ne peuvent exister en même temps.(V, 944) Cette prophétie décrit de manière précise la relation imaginaire du double, dans laquelle l’un des deux protagonistes doit disparaître. (V, 960)
L’image ne dit pas la vérité, précise le professeur Dumbledore. Celle-ci ne se situe pas dans la contemplation des images du passé, mais dans l’ouverture vers un devenir. S’installer dans le rêve constitue une forme de folie qui amène à oublier de vivre et d'exister.
La parole et l'acte de Dumbledore, qui rend le miroir du Rised inaccessible, libèrent Harry de sa fascination pour cette image idéalisée de ses parents et de lui-même à leur côté. Il reste néanmoins habité par cette image. Elle hante ses nuits dans ses rêves et ses cauchemars et elle réactive quelques souvenirs de la scène traumatique de l'agression de Voldemort. (I, 213)
Le Professeur Dumbledore, qui a transmis à Harry l'héritage de son père et lui a donné la possibilité de vivre cette expérience spéculaire, intervient auprès de Harry comme un substitut paternel. Son rôle consiste à structurer la relation spéculaire afin de rendre possible la séparation du Moi d’avec son alter ego. La parole de Dumbledore a un effet séparateur qui permet à Harry de prendre ses distances d'avec son double spéculaire entouré de ses parents aimants. Elle médiatise la relation imaginaire et Dumbledore devient l'élément tiers qui permet à Harry de franchir une étape dans son développement psychique. Á partir de ce point, Harry pourra se lancer dans l'aventure de la pierre philosophale et affronter Voldemort. Plus tard, quand il se regarde de nouveau dans le miroir, il ne voit plus ses parents, mais son image qui lui fait un clin d'œil complice et lui transmet l'objet de son désir : la pierre se retrouve réellement dans sa poche ! Son double devient un allié amical. (I, 285) Mais, Harry se retrouve aussi face à face avec le visage de Voldemort. Malgré la douleur de sa cicatrice, il parvient à le combattre car il bénéficie d'une puissante protection. « Il entendait aussi, peut-être dans sa propre tête, d'autres voix crier : « Harry ! Harry ! » » (288)
 
Epilogue «provisoire»
L'amour de sa mère constitue pour Harry une protection durable, un bouclier impérissable que Voldemort ne peut pas comprendre. « Avoir été aimé si profondément te donne à jamais une protection contre les autres, même lorsque la personne qui a manifesté cet amour n'est plus là. » (I, 292)
L'amour de la mère poussé jusqu'au sacrifice et la parole du père et son héritage, voilà ce qui permettra à Harry Potter de retrouver peu à peu une forme de souvenir de ses parents, de son histoire et de la scène traumatique, de ses origines. En s'appuyant sur ces éléments, grâce aux substituts parentaux qu'il rencontre et à ses amis, il pourra dépasser peu à peu sa souffrance d'enfant orphelin et maltraité, surmonter des épreuves difficiles et affronter de nouveaux deuils ainsi que d'autres confrontations avec sa face d'ombre, le Seigneurs des Ténèbres.


[1]              J.K.Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers, Paris, FOLIO Junior, Gallimard Jeunesse, 2000.
            Harry Potter and the Philosopher's Stone, London, Bloomsbury, 2001.
[2]           Freud S., in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, 1916.
[3]           Freud S., L'inquiétant, OCP, Tome XV, Paris, PUF, 1996.
[4]           Green A., Hamlet et Hamlet, Paris, Bayard, 2003.
[5]           Bettelheim B., La psychanalyse des contes de fées, Paris, R. Laffont, 1976.
[6]           Théorie de l’interprétation de signes comme éléments symboliques d’une culture.
[7]           Auriacombe E., Harry Potter, l’enfant héros, Paris, PUF, 2005.
[8]           « Ce qui se manipule dans le triomphe de l'assomption de l'image du corps au miroir, c'est cet objet le plus évanouissant à n'y apparaître qu'en marge : l'échange des regards, manifeste à ce que l'enfant se retourne vers celui qui de quelque façon l'assiste, fût-ce seulement de ce qu'il assiste à son jeu. » (Lacan J., Ecrits, p.70)
[9]           Enfant qui ne parle pas, entre 6 et 18 mois.
[10]            It was very funny feeling. (I, 150)
 
[11]          « Use it well » (I, 151)
[12]          The letters from No One.
[13]            Il s'agit d'être seul en présence de quelqu’un : « L’enfant joue avec la certitude que la personne aime et en qui, par conséquent, on peut avoir confiance, est disponible et le demeure quand, après l’avoir oubliée, on s’en souvient. Cette personne est ressentie comme réfléchissant ce qui se passe dans le jeu. » Winnicott D.W., Jeu et réalité, p.68.
[14]          Ecriture en miroir ! : « Je ne montre pas ton visage mais de ton cœur le désir. »
[15]          Il serait possible de dire que Harry ne percevrait pas les personnes qui se trouvent pourtant dans la pièce (hallucination négative). Il s'agit aussi de l’inverse de la situation du vampire qui ne peut se refléter dans le miroir.
[16]          Winnicott D.W., Jeu et réalité, p. 153.
[17]          C’est un espace utopique et achronique.
[18]          « Half joy, half terrible sadness ». (I, 153)
[19]          Auriacombe E., Harry Potter, l'enfant héros, p.85.
[20]          Ibid., p. 155.
[21]          « Strange how short-sighted being invisible can make you ». (I, 156)
[22]          Rowling J.K., Harry Potter et l’ordre du Phénix, trad. fr., Paris, Gallimard Jeunesse, 2003.



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