AUTOUR DU LIVRE

           HARRY POTTER, L'ENFANT HEROS  

 
 

Merci à Michel Colombe... pour cette belle sculpture en forme de tête de Janus très Voldemorienne!

                                                                

 

 

     

INTERVIEW    Harry Potter sur le divan

Auteur de travaux de recherche en psychanalyse, Eric Auriacombe est pédopsychiatre. Il a publié, en 2001, Les Deuils infan­tiles. Frappé par la récurrence de l'évocation des aventures de Harry Pctter dans ses entretiens cliniques, avec des enfants en souffrance, il a entrepris la lecture des romans de J. K. Rowling et y a découvert un univers qui entre en résonance avec les traumatismes infantiles, la maltraitance et le deuil. Il propose, à partir de son expérience de praticien, une lecture personnelle et très féconde de cette série que lisent avec assiduité un grand nombre d'adolescents.

Corinne Abensour: Dans Harry Potter, l'enfant héros, vous mettez Harry sur le divan. Quel est le panorama clinique qui se dessine ?

Eric Auriacombe. - Cliniquement, la situation de Harry est particulièrement intéres­sante. À l'âge d'un an, il a vécu une situation traumatique, un accident de voiture, dans lequel ses deux parents sont morts (version Moldue). Pour les sor­ciers, ils auraient été tués par Voldemort. Orphelin, il est recueilli par son oncle et sa tante qui le maltraitent et il présente des symptômes qui évoquent une dépression anaclitique.

Les problématiques du deuil précoce chez l'enfant, du trau­matisme et de la maltraitance se superposent, et la série Harry Potter permet d'en explorer les mécanismes psychologiques et de proposer des hypothèses psy­chopathologiques.

Avec le deuil précoce, la cul­pabilité du survivant, l'évitement du souvenir de la perte, le déni de la réalité, le clivage du Moi, les notions de cryptophorie et de revenance peuvent être mises en évidence. Les deux temps du traumatisme, la ques­tion de « l'après coup » sont bien illustrés par l'aventure de Harry qui découvre, onze ans après, l'histoire de ses parents et de ses origines. La maltrai­tance induit chez Harry des sentiments de dévalorisation et de honte, mais aussi une forme de résilience...

C. A. - Vous peignez en Harry un enfant maltraité, dépressif, dépositaire de secrets qu'il peine à faire remonter à la conscience. Ce sont là des traits de caractérisation de l'enfance qui sont fréquents en littérature. Quel impact ce type de héros a-t-il sur les jeunes lecteurs ?

E. A. - De nombreux contes mettent en scène des enfants orphelins et maltraités qui par­viennent, à l'aide d'un peu de magie, à surmonter la noirceur de leur vie pour grandir et deve­nir adulte. Les contes montrent des situations, des fantasmes, des actes que les enfants redou­tent ou souhaitent et qu'ils s'ef­forcent de traduire, de « théori­ser ». Ils proposent aussi des solutions « toutes faites » que l'enfant peut découvrir, voire s'approprier par identification. Les personnages des romans de Mrs Rowling constituent un excellent espace projectif et un support identificatoire efficace.

C. A. - Vous soulignez que l'opposition que fait J. K. Rowling entre le monde adulte (les Moldus) et celui des enfants (les Sorciers) est révélatrice du refoulement par les adultes de leur propre histoire infantile. Dès lors que faut-il comprendre de l'engouement de certains adultes pour cette série ?

E. A. - L'univers de Harry Potter se caractérise par la jux­taposition et l'interpénétration de deux mondes, celui des Sor­ciers (qui ouvre vers un fonc­tionnement et une pensée « magique ») et celui des Mol­dus, qui sont condamnés, par quelque sortilège d'amnésie, à oublier le monde magique. Une première approche permet d'opposer le monde des enfants sorciers et celui des adultes Moldus. Mais, le concept d'in­fantile permet une approche plus pertinente. Freud disait : « l'inconscient, c'est l'infantile en nous ». Il indiquait ainsi que les questions et les fonctionne­ments de l'enfant concernaient encore les adultes, mais à leur insu. L'intérêt des adultes pour les contes provient de la persis­tance de ces tendances infantiles encore actives bien que refou­lées (et de nombreux adultes possèdent encore heureusement une capacité d'émerveillement et de jeu enfantin). Les contes proposent une forme de régres­sion limitée et « cadrée », notamment dans le contexte de la lecture (la temporalisation, la possibilité de fermer le livre, de se raconter l'histoire mutuelle­ment...)

C. A. - Quel regard portez-vous sur les vertus pédago­giques de Harry Potter ?

É. A. - Les contes mer­veilleux proposent aux enfants un cadre mytho-symholique. Mais, contrairement aux mythes, les héros restent acces­sibles. Ils ne sont pas des super héros capables d'actes prodi­gieux, mais au contraire, ils sont pleins de doute sur leur compé­tence. L'identification à ce type de héros devient plus aisée et permet la mise en place de solu­tions à la portée des lecteurs. Les possibilités de résilience de Harry leur donnent un message d'espoir. Harry Potter interroge des questions essentielles : la vie et la mort, le bien et le mal, l'existence et la non-existence, la mort et l'immortalité, l'amour et la haine... Les solutions pro­posées par Mrs Rowling sont éthiques. Le héros se sent res­ponsable d'autrui (Harry entre­prend de sauver tout le monde), il peut lutter contre l'esprit du mal grâce à l'amour de ses parents, à l'amitié. Il doit faire confiance (en l'autre, en lui-même). Il peut apprendre à demander de l'aide et à s'ap­puyer sur la prise de parole, la narrativité, pour surmonter les pires épreuves et « grandir » peu à peu. L'identification au héros permet à cet aspect « pédago­gique » d'être efficace même si, pour chaque lecteur, un travail psychologique singulier reste nécessaire pour s'approprier à titre individuel le message éthique.

N.REVUE PEDAGOGIQUE - COLLÈGE / n° 1 / septembre 2006

 

   

       




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